Date : 24/01/2002.

 

COMING OUT

 

 

Oui je l'avoue, je suis pédophile ! Et depuis très longtemps ! J'ai toujours été attiré par les enfants. Depuis que je n'en suis plus un ; juste à l'âge de la puberté.

 

Et alors !!! Quel mal y a-t-il à çà !!!

 

Le scandale n'est pas de mon fait ! C'est le sens que l'usage a donné à ce mot qui devrait provoquer l'indignation.

 

Pédophile : du grec paidion, enfant, et philein, aimer. Des racines qu'on retrouve dans beaucoup de mots très courants ; pédiatre, pédagogue, (médecin pour enfant, qui conduit les enfants), xénophile, bibliophile, anglophile, cinéphile (qui aime les étrangers, les livres, les Anglais, le ciné(ma)).

 

Mais le pédophile, dans l'acception actuelle du mot, aime-t-il les enfants ? Non, bien sûr ! Il est la victime de pulsions morbides qui le poussent à les violer, voire à les tuer. L'amour, bien évidemment, n'occupe aucune place là-dedans. Et pourtant, en relatant ces affaires qui défraient la chronique et dont les victimes sont des enfants, les média parlent de pédophiles et de pédophilie.

 

Après la thèse, l'antithèse. On m'objectera à juste titre que la langue évolue. Le radical « phile » issu du grec ancien, qui signifie « ami » ou « aimer » a certes connu, pendant son histoire, des variations de sens. Le coton hydrophile, par exemple, s'il absorbe l'eau, ne ressent pourtant pas le moindre sentiment pour l'insipide boisson (et en passant, moi non plus !).

 

Certains noms ou adjectifs se sont même permis d'effectuer, au cours des siècles, un virage à 180°. Ainsi « terrible », qui qualifie aujourd'hui davantage une jeune fille attirante qu'une vision d'horreur. De même « malin » qui a complètement perdu sa référence au démon, et qui évoque une qualité. Les exemples d'une telle évolution sont légion.

 

Bon ! D'accord ! Le sujet ne permet pas d'opinion tranchée. Mais je conclurai par une synthèse qui est plutôt en accord avec mon propos du début. Si je regrette que le mot pédophile désigne au mieux un malade, au pire un criminel, c'est que j'aurais souhaité qu'il fut réservé pour nommer celui qui aime les enfants ; pour lequel il n'existe, à ma connaissance, aucun raccourci. Je lis dans l'excellent (!) Petit Robert, que le mot apparaît pour la première fois en 1969. Le sens qu'on lui donne est bien le reflet d'une époque malade !

 

Désolé, je n'ai pas fini. Il me reste encore deux sujets à traiter.

 

D'abord, je voudrais parler d'un mot, composé lui aussi de racines grecques et dont la construction me semble un défi à la logique. Il s'agit d' « homophobe ». Un homophobe est une personne qui déteste les homosexuels. Alors que ce devrait être « celui qui déteste (phobe) ceux qui sont comme lui (homo). Un homme qui déteste les hommes ou une femme qui déteste les femmes ; ou bien un kangourou qui déteste les kangourous. En quelque sorte une version hystérique de ce qu'on appelle un hétérosexuel.

 

Comment en est-on arrivé là ? Première absurdité, le mot « homosexuel » est constitué par l'assemblage bancal de deux radicaux, l'un grec, l'autre latin. On devrait dire, si le monde était parfait, et comme on le disait parfois, « homophile ». Ainsi, les députés qui luttaient, à tord ou à raison, contre le PACS, auraient-ils été accusés d'anti-homophilie (évidemment préférable à « homophilophobie »), mot intégralement formé d'éléments grecs, qui sonne bien, et dont le seul défaut semble être sa longueur, mais seulement parce que nous n'y sommes pas habitués ; après tout, aux quatre coins de l'hexagone (je sais, je sais... il y en a six !), il est un mot bien plus long qui commence pareil, que tout le monde connaît, et qui revient souvent dans les conversations : Anticonstitutionnellement !

 

Au lieu de quoi, l'évolution du langage a abouti à « homosexuel », bientôt supplanté, du fait de la tendance naturelle à abréger, par « homo » ; et je n'en tiens pas Charles Aznavour comme seul responsable ! Mais pourquoi « homo » ne désignerait-il pas une homothétie vectorielle ?

 

Quand, trois millions d'années après l'apparition des homosexuels, est apparue l'espèce de leurs ennemis, il ne restait que deux solutions pour désigner ceux-ci : « homosexualophobe », auquel sa longueur, sa laideur, et sa composition gréco-latino-grecque interdisent à jamais l'entrée dans le lexique, et « homophobe », dont j'ai déjà dit tout le mal que j'en pensais, car il pourrait aussi bien s'appliquer à un étudiant en mathématiques allergique aux homothéties vectorielles. Et, dans ce cas, j'en suis ! (Un homophobe. Très drôle !).

 

Il est temps d'aborder le troisième sujet. Vous n'êtes pas sans avoir remarqué que ce texte, visiblement écrit par un pinailleur sémantique, amoureux désuet de la langue de Molière, et qu'on suppose réfractaire à l'intrusion dans notre bel idiome de mots anglo-saxons, est précédé d'un titre barbare dont la prononciation sous la coupole du quai Conti entraînerait la mort subite par arrêt du coeur de la moitié du corps des académiciens ; bien qu'on les dise immortels.

 

Faites excuses, il s'agit encore d'homosexualité (ou d'homophilie). Et je commence à me demander, en constatant la place que prend ce thème dans mon discours, si mon hétérophilie est aussi solide que je le croyais. Quoi qu'il en soit, cette compilation de réflexions linguistiques est intitulée « coming out ». Il s'agit, tout le monde le sait, d'une expression employée depuis quelques années dans le monde anglo-saxon pour désigner l'action par laquelle un personnage, le plus souvent connu du grand public, révèle à la face du monde ses penchants homosexuels jusque là ignorés. Et que l'auteur de ces lignes utilise de façon métaphorique pour dévoiler sa « pédophilie », qui ne devrait selon lui désigner rien de plus que l'amour des enfants.

 

Mais comment diable dit-on en français ? La chose ne date pourtant pas d'hier ! Avant Pascal Sevran et Laurent Ruquier, Roger Peyrefitte, Gide, et avant eux Verlaine et bien d'autres ont bien dû faire leur « coming out ». Comment appelait-on ça ? Mise à nu ? Révélation ? Aveu ? Confession publique ? Tous ces mots ont un sens trop large pour correspondre exactement à la nouvelle expression. Tout simplement on n'appelait pas ça ! Et d'ailleurs le mot n'est pas indispensable. On peut le remplacer par une tournure de phrase appropriée. « Coming out » n'est qu'un raccourci pratique. Ce n'est pas comme « cheval », par exemple. Je m'explique : si, chaque fois qu'on doit parler d'un cheval, on disait « grand mammifère à crinière, plus grand que l'âne, domestiqué par l'homme comme animal de trait et de transport » (Petit Robert), la course du tiercé serait terminée bien avant que le commentateur ait fini d'en décrire le départ.

 

La question se pose : pourquoi « coming out » connaît-il un tel succès ? Jusqu'à figurer en exergue d'un texte écrit par un soi-disant défenseur de la langue ; alors qu'on s'en était très bien passé jusqu'ici.

 

Snobisme ? Je ne pense pas. Tout simplement ce mot s'intègre à la culture d'une époque et, s'il n'est pas indispensable, il est irremplaçable. Il ne disparaîtra que si les taliban prennent le pouvoir en France, le rendant inutile. Ou bien si les technocrates de la langue arrivent à lui trouver un remplaçant (je leur souhaite bien du plaisir !). Faute de quoi il rejoindra dans le dictionnaire le flirt, la redingote (riding coat), le parking, les blue jeans, le juke-box, les knickerbockers (qui s'en souvient ?), le boycott, le K.O., le O.K., et tant d'autres qui ont traversé avec succès la Manche ou l'Atlantique.

 

Les U.S.A. (pardon les États-Unis) exercent une domination économique et surtout culturelle sur le monde. Il est inévitable qu'avec le jazz, les westerns, le rock, le rap, Windows, internet, des mots anglais envahissent les idiomes de leurs colonies. C'est dommage ! Mais c'est comme ça !

 

Voilà, j'ai traité mes trois sujets, comme promis. Merci de votre attention. Salut !

 

Vous êtes encore là ? Ça tombe bien ! En traitant le troisième sujet, j'ai été pris d'une envie irrépressible d'en aborder un quatrième. Que j'intitulerai « de la spécificité de l'intégration des mots anglo-saxons à la langue française ». Voici donc :

 

 

 

DE LA SPECIFICITE DE L'INTEGRATION DES MOTS ANGLO-SAXONS A LA LANGUE FRANCAISE. 

 

 

Vous n'avez pas déjà oublié le paragraphe où je traitais de l'indispensabilité (pardon aux vingt survivants de l'Académie !) du mot « cheval ».

 

« Cheval » est un mot basique. Un mot qu'on connaît avant de savoir lire. Un mot qu'on ne recherche jamais dans le dictionnaire pour en connaître la signification. Tout le monde sait ce qu'est un cheval. C'est un grand mammifère à crinière, plus grand que l'âne, domestiqué par l'homme...

 

Mais vous savez ce que c'est quand même ! Crin blanc ! Ces grosses bêtes qui tiraient les diligences ! Ces animaux qu'on a peints sur les parois de la grotte de Lascaux ! Bon, ne me faites pas marcher !

 

 On dispose pour les nommer d'un mot courant, bien de chez nous avec sa racine latine et son pluriel irrégulier. Depuis que Cortes a envahit le Mexique avec ses cavaliers, il n'est pas un endroit au monde ou le cheval ne soit connu et où les enfants d'âge préscolaire ne connaissent le mot qui le désigne dans leur langue.

 

Donc « cheval » est indispensable, d'accord ? Mais beaucoup de mots importés le sont aussi. Exemples : Jeans, T-shirt, football, cookies, soprano, vasistas couscous, nem, judo, blinis, döner kebab, boulgour, nuoc mam, saltinbocca, on s'arrête là, je n'ai plus faim ! Ils désignent des choses bien précises pour lesquelles il n'y avait, avant leur intégration, aucun mot français correspondant. Ils n'ont depuis pas été remplacés, contrairement à « data processing » devenu informatique, ou « computer », qui aurait pu devenir un très correct « computeur » auquel on a pourtant préféré « ordinateur ».      

 

Parmi cette sélection, composée à dessein, les six premiers mots occupent une place à part ; ils sont, en effet, complètement détachés de la culture qui les a produits et désignent des objets ou des notions devenus internationaux. Il y a en France et partout ailleurs des T-shirts, des sopranos et des vasistas alors que les nems ne se trouvent que dans les restaurants vietnamiens. Ou quelquefois chinois... mais on ne va pas chinoiser !

 

Parmi ces envahisseurs pacifiques, pourquoi les anglo-américains nous semblent-ils les plus horripilants. Certes, ils font partie d'un bataillon pléthorique qui, depuis quelques décennies, menace notre belle langue et traduit dans le vocabulaire la domination de plus en plus contestée des États-Unis sur le monde.

 

Mais surtout, et c'est en cela qu'ils diffèrent des autres, ces mots viennent allègrement bousiller nos règles phonétiques. Si leur prononciation est adaptée aux sons du français, leur écriture en revanche nous apparaît totalement fantaisiste. L'anglais, comme le français d'ailleurs, est une des (rares) langues dans lesquelles on peut dire d'un mot qu'il s'écrit « comme il se prononce » ; car c'est rarement le cas. Les voyelles et les diphtongues y prennent des valeurs différentes selon l'histoire de leur formation. La lettre « i » peut engendrer les sons « eu » « ail » ou « i ». Ce n'est qu'un exemple. Si l'on devait respecter la logique, on porterait des djines et des ticheurtes, on regarderait le foutbol en mangeant des coukiz. Mais on ne le fait pas ! Du moins par écrit.

 

Ainsi le dictionnaire est-il rempli de nouveaux mots qui « font désordre ». Tant d'apports étrangers ont été assimilés sans problème avant que ces hooligans destroy, tommies ou yankees, viennent saccager les pages du Petit Robert.              

 

Que n'ont-ils connu le sort de la redingote, citée plus haut, ou du pull-over, dont on a modifié la prononciation et l'écriture pour le premier, pour en faire de bons petits français, pas sauvageons pour un penny.

 

Comment va-t-on régulariser les autres. Certainement pas en en modifiant l'orthographe ; inutile de rêver de hambourgueurs, siriol kileurs, ou de tinedjeurs. Les mauvaises habitudes sont déjà prises. Seule solution : rendre la phonétique du français encore plus compliquée et faire admettre aux jeunes écoliers l'existence d'autres règles. Comme s'il n'y en avait pas déjà assez !

 

Et mon coming out dans tout ça ! J'en ai un peu honte (du mot, pas de ce qu'il représente). Mais imaginez-vous en préambule à un texte si fin et pertinent : Komingoute ou Komingaout. « Coming out » a une autre gueule... Et c'est dommage !

 

Il n'y aura pas de cinquième sujet. Bien que j'aurais souhaité parler de « döner kebab » qui, avec son « o » tréma, est en légère contradiction avec mon propos. Mais on peut aussi écrire et prononcer « doner ». Nananère ! Et pour ce qui est des Turcs, on peut bien leur pardonner ça. C'est plutôt notre langue qui a envahi la leur que l'inverse. Au fait, savez-vous comment on dit « petit gâteau sec, plat, aux bords dentelés » en idiome anatolien ? « Pitibör » !

 

Ça y est ? Vous dormez ? Je m'arrête là !

 

Bye bye !

 

 

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