Date : 5 août 2005
Des films de guerre américains et du calcul des surfaces.
La guerre et tout ce qui l'accompagne, action, héroïsme, drames, franche camaraderie, a depuis longtemps inspiré les réalisateurs américains. C'est un sujet qui convient admirablement à des films à gros budget avec plein de figurants et d'effets spéciaux, comme seule l'industrie cinématographique d'outre-Atlantique peut en produire.
Ces films, au début, étaient à juste titre considérés comme manichéens, avec les bons (Américains, alliés, défenseurs du monde libre) d'un côté, et les méchants (indiens, nazis, communistes) de l'autre. Jusqu'à ce que les réalisateurs yankees décidassent de mettre un peu d'eau dans leur coca-cola, en faisant la part des choses. Avec des œuvres comme « la flèche brisée », où les Indiens n'apparaissent pas comme des brutes sanguinaires, mais ainsi que des gens « normaux », « croix de fer », qui explore le point de vue des soldats allemands (sur le front de l'est il est vrai, c'est à dire sans frittage avec les fils de l'oncle Sam), et plus récemment « danse avec les loups » qui prend franchement partie pour les amérindiens. (Mais attention les bons, les Sioux, alors que les méchants Pawnees avec leurs crânes rasés et leur look after-punk y incarnent le mal – c'était une parenthèse que je referme illico).
Un autre film fit date dans le genre : « looking for private Ryan » or something like that, calamiteusement traduit en frenchie, où la guerre est présentée comme une tuerie bestiale de laquelle les grands sentiments patriotiques sont absents (sauf à la fin avec ce f… american flag en surimpression – scuse me for the parenthesis mais on ne peut passer ça sous silence).
C'est surtout dans le thème de la guerre du Vietnam que l'on peut constater cette évolution. « Platoon », « The deer hunter » (calamiteusement traduit lui aussi), “Apocalypse now » (malheureusement pas traduit car le titre est très mauvais AMHA) , « full metal jacket » et surtout « casualities of war » montrent la guerre telle qu'elle est, avec des cinglés dans le camp des « bons ». Si l'on compare le traitement de leur histoire par les mâcheurs de chewing gum et celui que le cinéma français a appliqué, par exemple, à la guerre d'Algérie, force est de constater que les cinéastes américains n'attendent pas autant que les nôtres avant de mettre les pieds dans le plat. A peine le dernier GI avait-il mis le pied dans l'hélico qui évacuait l'ambassade américaine de Saigon que Coppola cogitait déjà sur l'opportunité de téléphoner à Marlon Brando pour lui proposer le rôle principal.
« Mais quel rapport avec le calcul des surfaces ? » Me direz-vous. « En effet, Oncle Paul, le titre de ce texte nous avait préparé à une ennuyeuse démonstration mathématique ; au lieu de quoi tu nous livres une série de passionnantes considérations sur le cinéma américain ! »
« Oui oui ! J'y viens ! » Vous répondai-je.
Alors voilà : la vision d'un film récemment diffusé sur une chaîne généraliste a attiré mon attention sur un fait que j'avais déjà constaté depuis longtemps mais qui jusqu'alors n'avait pas franchi le portillon qui sépare la partie « inconscient » de mon cortex de l'autre partie, consciente, qui guide présentement ma plume. Ce film c'est « We were soldiers » admirrrablement traduit en français par : « Nous étions des soldats ». Une œuvre assez mineure et passablement racoleuse qui traite, encore, de la guerre du Viêt-Nam.
Et bien dans ce film, comme dans toutes les fictions cinématographiques consacrées à la guerre, de la nième resucée de Rambo au chef d'œuvre d'un grand réalisateur en passant par le téléfilm à petit budget, on constate que le comportement au combat des « méchants », en l'occurrence les Nord-vietnamiens, se différencie étrangement de celui de « bons », en l'occurrence les lourdeaux péquenots du Middle West que leur médiocrité a amenés à défendre la civilisation du coca cola et du hamburger à 15000 km de leur patelin bouseux de l'Arkansas.
Pour ceux (et celles) qui ont eu comme moi l'opportunité de servir leur pays pendant quelques mois, vous n'avez certainement pas oublié une des premières choses qu'on apprend en s'exerçant au tir : « il faut se baisser, se cacher, pour offrir le moins de surface possible au feu de l'ennemi ». Il n'est même pas nécessaire d'être caporal chef parachutiste pour deviner ça ! En situation réelle de combat, un réflexe de survie pousse naturellement le soldat à se coucher, à s'agenouiller, à se mettre à couvert derrière un arbre, un buisson, un distributeur de boissons, bref, à adopter la position la plus opposée à celle qui consiste à se tenir debout face aux mitrailleuses les bras en croix en hurlant à ceux d'en face : « Je suis là ! Essayez un peu de m'avoir ! »
Et pourtant…
Dans tous ces films, les adversaires de la glorieuse Amérique nous jouent à chaque fois la charge héroïque. A peine sortis de leur tranchée, ils foncent droit devant eux, leur minable pétoire à la main, tirent quelques rafales en courant que leur imprécision dirige vers la cime des cocotiers ou les plus proches pousses de bambous, en tous cas loin des GIs qui sont, eux, bien planqués dans leur terrier, et sont illico fauchés par une rafale de M16 habilement dispensée par le sergent Smith.
A l'évidence la mortalité chez les autres est bien supérieure que dans les rangs yankees ; ce que corroborent les chiffres (au Viêt-Nam il y a eu 10 fois plus de morts chez les Vietcongs que chez les Américains). Est-ce la conséquence d'une supériorité technologique ? De la maîtrise de l'air ? De l'usage du napalm ? Non ! C'est que ces sauvages ignorent les notions les plus élémentaires de géométrie. Le théorème de Thalès dit bien que des droites parallèles coupant deux lignes dessinent des segments qui conservent les mêmes proportions quel que soit l'angle que ces deux lignes forment entre elles. Et donc que plus la cible est grande, plus l'espace où doit se trouver le bout du fusil pour l'atteindre est étendu, et moins le sergent Smith devra être habile ou à jeun pour dégommer l'ennemi du monde libre. On apprend ça à West Point ! Au premier trimestre !
Mais dans l'instruction des maquisard vietnamiens, les mathématiques étaient beaucoup moins coefficientées que les cours de marxisme-léninisme. Ce qui explique qu'ils ignorent la bonne attitude à adopter face à un tir nourri. S'ils avaient eu un peu plus de jugeote, ils auraient gagné la guerre !
Ah bon ? Ils l'ont gagnée quand même ?
Bon ! Mais ils ont eu bien du mérite à le faire en ignorant qu'un soldat couché ou abaissé, ou dissimulé derrière un rocher a moins de chances de se faire descendre que celui qui joue les cibles de fête foraine.
Merci Oncle Paul.