CHLOÉ

 

 

Dans la petite cabane au fond du jardin, Chloé joue avec tous ses amis. Il y a Auguste, le clown triste en habits blancs, Victor, le petit soldat de plomb qu'elle a trouvé dans le grenier de papy, Marion la poupée, Dino le dinosaure, Beethoven le chien, et tant d'autres...

 

Et surtout Benjamin, son meilleur ami, un gros ours en peluche gris qui, malgré sa fourrure élimée, son oreille droite absente et le trou au bout de sa patte qui laisse s'échapper quelques brins de paille, est le plus bel ours du monde. Et le plus intelligent.

 

Les parents de Chloé ne la croient pas quand elle les assure que tous ces personnages deviennent vivants quand elle est seule avec eux. Qu'ils parlent comme de vrais gens, rient, pleurent, et même se disputent parfois. Peu importe que les adultes n'y croient pas ! Elle sait que c'est vrai, et c'est la seule chose qui compte !

 

Chloé est très contente ce matin. D'abord, on est mercredi et il n'y a pas d'école. Ensuite, elle va pouvoir étrenner le cadeau qu'elle a reçu hier soir pour ses six ans.

 

Le papa de Chloé joue de la guitare et du piano. Très bien. Comme dans la radio ou dans la chaîne du salon. Il a inscrit sa fille à l'école de musique dès l'âge de quatre ans car, dit-il, il faut commencer très tôt. Chloé pense que c'est beaucoup de travail, surtout le piano qui est très difficile. Mais elle apprend avec application car elle voudrait devenir plus tard une grande musicienne.

 

Son cadeau d'anniversaire est une magnifique flûte à bec, en bois verni, pas comme celle de l'école qui est en plastique. Elle ouvre l'étui de carton vert, en sort l'instrument et s'apprête à jouer.

 

À cet instant, Benjamin saute sur les genoux de Chloé, grimpe jusqu'à son épaule et lui glisse à l'oreille :

 

« - Attends ! Cette flûte n'est pas une flûte ordinaire ! Elle a des pouvoirs magiques ! »

 

Chloé s'interrompt, interloquée.

 

« - Des pouvoirs magiques ? Comme une baguette de fée ?

-         Pas exactement – répond Benjamin – Mais laisse-moi faire, tu vas voir ! »

 

L'ours pose alors la main sur le bois luisant de l'instrument et récite à mi-voix :

 

« Et tic et tac et toc ! Une poule et un coq

Et toc et tic et tac ! Ont mis leurs anoraks

Et tac et toc et tic ! Pour jouer de la musique !

 

Et maintenant joue ! »

 

Chloé éclate d'un rire cristallin. Puis elle porte l'embout de l'instrument à sa bouche et se met à jouer, presque sans fausse note, une comptine qu'elle a apprise à l'école. Tout en se remémorant les paroles :

 

« C'est la mère Michel qui a perdu son chat... »

 

A peine a-t-elle finit le refrain, « Sur l'air du tradéridéra, tralala ! » qu'une grosse dame apparaît devant la porte ouverte de la petite cabane.

 

-         Vous n'avez pas vu mon chat ? - dit la grosse dame à la petite fille.

-         Allez demander au père Lustucru – répond celle-ci en réprimant un fou rire.

 

La dame s'enfuit en maugréant. Chloé est ravie. Elle adresse un sourire reconnaissant à l'ours Benjamin qui lui fait signe de continuer. La musique reprend :

 

« Le bon roi Dagobert

avait sa culotte à l'envers... »

 

Bientôt, aux notes fluettes de la mélodie se mêle un bruit de pas, faisant crisser le gravier de l'allée. Chloé s'arrête de jouer, et se précipite vers la porte, suivie de Benjamin. Dagobert, dans un costume d'apparat et coiffé d'une couronne dorée constellée de bijoux, progresse péniblement vers la cabane, d'une démarche de canard. Ce qui lui tient lieu de pantalon a manifestement été enfilé du mauvais côté, et nuit grandement à la majesté du personnage. Le devant de l'habit montre un renflement qui devrait en principe enserrer l'auguste postérieur. Un homme habillé d'une robe de bure et dont la tonsure est surmontée d'une brillante auréole, suit le roi en sautillant. Devant le seuil, le monarque se fige, les jambes arquées, en portant un regard sévère en direction du fond de la maisonnette. C'est alors que saint Éloi lui murmure quelque chose à l'oreille. Le roi baisse alors sa culotte, laissant apparaître deux jambes frêles et velues, et, sans quitter son air sérieux et sans prêter attention aux rires des occupants de la cabane, la remet dans le bon sens. Puis il repart, suivi de son ministre, d'où il était venu.

 

Chloé est folle de joie ! Comme ce jeu est amusant ! Elle reprend sa flûte et enchaîne sur une autre chanson :

 

« Cadet Rousselle a trois maisons

Qui n'ont ni poutres, ni chevrons... »

 

Elle jette de temps en temps un regard furtif vers le bout du chemin de pierres, espérant voir apparaître l'extravagant personnage à la perruque poudrée qui illustre la comptine sur son livre de chansons.

 

Mais, à sa grande surprise, elle voit surgir du tournant de l'allée une grosse motocyclette pétaradante, conduite par un homme obèse au visage rougeaud et adipeux. Un cochon rose court à ses côtés.

 

Elle adresse à Benjamin un regard inquiet. Et la terreur qu'elle lit dans les yeux de l'ours provoque chez elle un début de panique.

 

« - Qui c'est celui-là ? – interroge-t-elle ? Ce n'est pas Cadet Rousselle !

Nooon !!! – crie l'ours en s'enfuyant, - C'est Bali Balo !!! »

 

 

 

              FIN

 

 

A.K.