Date : 07/10/2002.

 

 

 

Si un de ces crétins de sondeurs pose un jour à l'échantillon représentatif de la population la question brute : « êtes-vous pour ou contre la censure ? » la réponse sera « non » à une immense majorité.

 

Mais si on laisse aux panélisés le temps de la réflexion en leur confiant une journée tous les articles parus sur le bouquin dont on parle en ce moment, i.e. « rose bonbon (ed. Gallimard) », le résultat sera sans doute différend.

 

Si vous n'avez pas entendu parler de cette affaire, contactez-moi ; je connais un réparateur de télés et radios qui peut vous dépanner pour un prix très modique. Et je résume l'affaire, pour vous exclusivement :

 

Un bouquin vient de sortir. Ça s'appelle « rose bonbon » et ça parle de pédophilie ; le sujet le plus tabou à notre époque. (le seul, peut-être ?) Il y a, paraît-il des scènes horribles (miam ! miam !). Une violence insoutenable. Du sang, du sexe ; mais pas avec des pétasses décolorées et des étalons de concours comme d'hab ; mais avec des enfants (slurp !). Je ne l'ai pas lu, pas encore, mais d'après ce qu'on en dit ça promet d'être croustillant !

 

C'est tellement hard que des associations de protection de l'enfance se sont jetées dans la bataille. Et la ligue des droits de l'homme. Et tout le monde en parle, comme on dit chez Ardisson.

 

Le résultat de ce déferlement médiatique est que le bouquin, un chef d'oeuvre de la littérature française ?, un livre correctement écrit ?, ou plus probablement une grosse daube, bénéficie de couloirs de pub dans les médias. Des minutes, des dizaines de minutes, des heures si on comptabilise le temps qu'on y consacre sur toutes les chaînes de télé et les stations de radio. Accordées par les défenseurs de la liberté d'expression ; et surtout par les détracteurs qui, en manifestant le dégoût qui les a saisis à la lecture du livre, ne font que réciter un argumentaire ciblé à l'adresse des gros cochons pédophiles, ça ce n'est pas important, ils l'ont déjà ; mais surtout, donnent envie aux autres, les gens normaux, vous et moi, d'acheter le bouquin. Pour voir jusqu'où l'auteur peut aller.

 

Des dizaines de minutes de pub, gratos ! Pour Peugeot, Badoit, Vogica, une telle campagne coûterait des centaines de millions d'euros. Pour Gallimard, zéro, nib, peau de censuré !

 

Que le livre soit interdit ou non, peu importe. S'il l'est, on en parlera davantage et il n'en aura que plus de succès. Car censuré ne signifie pas interdit à la vente. Seulement l'obligation d'être présenté sous une enveloppe plastique, ou l'interdiction de la vente aux mineurs ou dans les grandes surfaces, ou tout ça ensemble. Des mesures qui boosteront les ventes, surtout si l'éditeur a la bonne idée d'ajouter à l'ouvrage un bandeau rouge portant l'inscription « censuré pour cause de pédophilie ».

 

Tout ça pour dire que les vrais faux culs dans cette histoire ne sont pas les ligues de vertu, les moralisateurs, les cathos réactionnaires ; mais bien les soi-disant persécutés, auteur et éditeur qui jouent avec habileté avec la censure en provoquant le scandale. Comme avant eux les producteurs d'« amen » (dont l'affiche montre une croix chrétienne qui se termine en svastika), la photographe Béthina Rheims (quelle censuré !), ce gros censuré de Olivero Toscani, le promoteur de ces censuré de fringues Benetton.

 

Dans notre beau pays à l'aube du XXIe siècle, la censure telle qu'on la concevait autrefois est devenue au mieux totalement inopérante, au pire un instrument de promotion. Ces censuré promoteurs d'un livre à scandale invoquent à leur secours, dans les tribunes médiatiques qu'on leur offre gracieusement, les mannes de Sade et Baudelaire. Ils se f... de notre censuré. Sade fut embastillé, Baudelaire censuré, alors qu'eux ne risquent que le succès.

 

Attention ! Je ne suis pas un fanatique de l'autodafé et je n'ai aucune action dans une fabrique de ciseaux ! Mes idées sur le sujet sont très larges ; je ne suis pas opposé à la vente libre de « mein kampf » (aujourd'hui interdit), des pensées de Bin Laden, ou des ouvrages pornographiques les plus choquants (celui dont il est question plus haut en faisant partie). Si on avertit le lecteur qu'il s'agit d'un document historique ou d'une oeuvre de fiction.

 

Les seules limites qui me semblent acceptables à la liberté d'expression seraient la publication de « comment fabriquer une bombe à fragmentation avec un kilo de sucre, un pot de moutarde et un flacon de synthol », ou de « zigouillons les bougnoules » ou de « relevé des positions des batteries d'artillerie de notre armée à l'usage de l'ennemi » ou d'un article dans un magazine à scandale intitulé « j'ai couché avec l'abbé Pierre, il n'a qu'un testicule ». C'est à dire la divulgation d'informations dangereuses, l'incitation manifeste à la haine raciale, ou autre, ou l'atteinte à la sécurité de l'état, ou la violation de la vie privée. Et sans doute quelques autres cas de figure qui ne me sont pas venus à l'esprit. En sachant très bien qu'il est impossible de contrôler tout ce qui circule aujourd'hui sur internet.

 

À l'exception de ces cas extrêmes, tout peut être dit selon moi. Ce qui me fait bondir, c'est l'hypocrisie des marchands de soupe qui jouent de la (légitime) indignation d'une partie du public pour s'en servir d'argument publicitaire.

 

Cela rappelle un peu le teasing pratiqué dans les bandes annonce avant un programme de télé, principalement sur une chaîne putassière d'enculés de mes couilles, qu'on accède avec le premier bouton de sa télécommande et qui se nomme censuré. On prend un ton désolé pour parler de la détresse des prostituées tout en montrant des cuisses et des seins. Encore une fois, je n'ai rien contre ce genre d'exhibition ; à condition qu'on annonce la couleur, que ce soit encadré, que les mineurs soient protégés etc...

 

En résumé aux faux-culs je préfère les vrais !

 

 

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