Sur
l'étroite corniche qui surplombait un à-pic de plusieurs kilomètres de hauteur,
l'expédition du professeur Carlson progressait lentement. Il y avait trois
hommes et une femme vêtus de tenues coloniales et une quinzaine de porteurs
noirs. Le professeur, qui marchait devant, se tourna vers le capitaine
Freemond.
« Si
nous faisions halte ici ? La corniche s'élargit et j'ai aperçu à cent pas
devant nous une petite cascade. Nous aurons de l'eau pour le thé et nous
repartirons avec nos bidons remplis.
-
Excellente
idée professeur ! Je pense que David Simmons et Miss Whitehall seront du
même avis - Et se retournant vers les deux jeunes gens qui suivaient à quelques
yards - Molly ! David ! Que diriez-vous d'une petite pause ?
-
J'en serais
enchantée - répondit la jeune femme - je suis fourbue ! »
Il
s'assirent sur des rochers au pied de la cascade. Pendant que les porteurs
préparaient le thé le professeur entretint ses compagnons :
« Cette
montagne où nous nous trouvons se nomme la barrière du Moutiah. Nous sommes à
mi-chemin de son ascension. De l'autre côté s'étend une immense forêt vierge
qui est le royaume de cet homme dont je vous ai parlé. Mais avant, nous devrons
traverser le territoire des redoutables Gaboni.
-
Est-il vrai
qu'il est blanc comme vous et moi ? - l'interrogea Miss Whitehall
-
Il est né
de parents appartenant à la meilleure société d'Angleterre. Mais ils
disparurent dans un naufrage ou un accident, le laissant livré à lui-même dans
la jungle. Il aurait dit-on été recueilli par une horde de singes qui
l'auraient élevé.
-
Il a épousé
une guenon, à ce qu'on m'a dit ?
-
Ce sont des
sornettes, Molly ! Effectivement il n'habite pas seul. Mais sa compagne,
tout comme lui, est issue de la gentry. Ils vivent tout nus dans les arbres et
se nourrissent des ressources que leur procure la jungle. D'ailleurs vous
verrez par vous-mêmes. Je compte sur ce sauvage pour nous amener au cimetière
des éléphants qui est le but de cette expédition.
Un des
porteurs s'approcha du groupe en tenant maladroitement un plateau d'argent sur
lequel étaient disposées quatre tasses de porcelaine et une théière assortie.
« Nous
sommes bien loin de Buckingham, et le service laisse à désirer. Mais « à
la guerre comme à la guerre ! » - dit le professeur Carlson d'une
voix empreinte de nostalgie -. Après le thé nous porterons un toast à notre
empire. Parmi ces caisses que portent ces sauvages, il y en a qui contiennent
quelques bouteilles d'un excellent scotch que j'ai fait spécialement venir des
Highlands. »
Quand le
groupe se remit en route, au bout de vingt minutes, le soleil était au zénith
et la sueur mouillait les vêtements des marcheurs. Peu après, le chemin, sur
une petite distance, devenait très étroit et ne permettait le passage que d'un
seul homme à la fois. Le capitaine Freemond, en bon militaire, prit les choses
en main :
« Le
professeur et moi-même traverserons les premiers ! Suivront les porteurs
puis Miss Whitehall ; et Mister Simmons fermera la marche ! Ainsi, si
un éboulement survenait et que nous soyons séparés, nous aurions moins de
chance d'être isolés des vivres.
-
Bien
raisonné - répondit le professeur - on reconnaît en vous le fameux Lieutenant
Freemond qui s'était si brillamment illustré dans la campagne du
Cachemire ! ». Et il ajouta à voix basse, alors qu'il suivait le
capitaine sur le sentier escarpé et que nul ne pouvait les entendre :
« Sans
compter que si nous nous trouvions tous les quatre ensemble du même côté de cet
escarpement et ces sauvages de l'autre, ils pourraient s'enfuir avec les vivres
après avoir bloqué le chemin. »
Freemond
se retourna, au risque de perdre l'équilibre, et lui répondit par un clin
d'œil.
Les
porteurs franchirent à leur tour l'étroit passage puis Molly Whitehall
s'engagea, avec hésitation sur la mince corniche. A peine avait-elle fait trois
pas que l'escarpin qui chaussait son pied gauche roula sur un caillou et
qu'elle perdit l'équilibre. Elle bascula dans le vide en poussant un cri
strident et prolongé dont l'écho ne mourut qu'après un long moment, ayant
plongé les membres de l'expédition dans un état de stupéfaction hébétée. David
Simmons, resté en arrière, se mit à trembler de tous ses membres. Puis il hurla
à destination du professeur Carlson qu'il pouvait à peine voir car celui-ci
était à moitié dissimulé par la paroi :
« Je
n'aurais jamais dû vous suivre dans ce pays de sauvages ! Tout çà pour
rencontrer un homme-singe qui ne sait même pas tenir une fourchette, et
chercher un cimetière d'éléphants qui n'existe sans doute pas ! J'aurais
mieux fait de rester à Oxford, chez ma mère ! ».
Puis il
s'enfuit en dévalant la pente à toutes jambes. Le professeur se tourna vers le
capitaine.
« Je
n'ai jamais eu confiance dans ce blanc-bec. Il ne nous aurait été d'aucune
utilité dans la traversée du territoire des Gabonis. Et, maintenant que nous
sommes deux, le bénéfice de cette expédition est double pour chacun de
nous. Remettons-nous vite en route ; le sommet est proche et ce soir
nous aurons franchi la barrière du Moutiah. En avant ! »
Au
crépuscule, un campement fut établi à l'orée de la forêt. Le feu qui y brûlait
tenait les bêtes sauvages à distance. Mais suscitait la curiosité d'autres
créatures, autrement plus féroces.
Le
lendemain, dès l'aube, l'expédition se remit en marche. La jungle bruissait de
rumeurs inquiétantes. Le professeur Carlson et le capitaine Freemond ouvraient
la marche, tenant d'une main crispée la crosse de leur revolver.
« -
Ne ressentez-vous pas une impression bizarre, capitaine ? - s'enquit
le
professeur.
-
Effectivement.
J'ai vécu bien des aventures sur les cinq continents et rencontré des sauvages
de toutes sortes. Mais jamais je n'ai connu cette sensation étrange : le
pressentiment du danger mélé à cette impression de calme. Le calme qui précède
la tempête ! Et quelque chose dans l'air que je n'arrive pas à définir et
qui rend la situation totalement anormale. Et ce n'est pas seulement la
présence dans les environs de ces terribles Gabonis ! Qu'en pensez-vous
professeur ?
-
Retournez-vous
un instant et observez les porteurs indigènes. Ils sont tranquilles, presque
souriants ; ce n'est pas normal. A ce stade de la progression il devrait
en manquer la moitié ; tombés dans le précipice, mangés par des bêtes
fauves ou piqués par des serpents. Et les survivants trembleraient de peur à l'idée
de traverser ce territoire sacré. Au lieu de ça ils avancent insouciants, et
c'est nous qui avons perdu la moitié de nos effectifs ! Il se passe
quelque chose d'étran... »
Le
propos du professeur s'interrompit brutalement. Il venait de recevoir au milieu
du front une flèche de sarbacane tirée par un invisible Gaboni. Il s'écroula
d'un coup tandis que le capitaine Freemond, en faisant des bonds hystériques,
faisait feu au hasard sur les bosquets environnants. Quand il eut vidé son
chargeur, il entreprit de réapprovisionner son revolver. C'est alors que trois
flèches l'atteignirent presque en même temps à la tête, sur le cou et dans la
poitrine.
Les
porteurs avaient assisté à la scène sans manifester trop d'émotion. Ils
s'étaient simplement accroupis pour éviter les flèches et les balles perdues.
Puis ils avaient vu de tous cotés les Gabonis, couverts de leurs menaçantes
peintures de guerre, s'enfuir vers les profondeurs de la forêt vierge.
Quand le
calme fut revenu, N'guélé, qui était leur chef, les harangua :
« -
Quoi nous y'en a faire maintenant ? Scénario pas comme d'habitude. Hommes
blancs tous morts ! Gabonis partis ! Nous s'asseoir en rond et faire
palabre pour décider suite des événements. Quoi toi en penser, mon fidèle
Motumbo ? »
Ce
disant il s'était tourné vers le plus grand des porteurs, qui, dans leur tribu,
avait le rôle de Premier ministre.
« -
Parole du chef être sage. - répondit Motumbo - Mais d'abord, moi penser
nous pouvoir ouvrir caisses hommes blancs. Et
goûter eau-à-couleur-de-miel dans
calebasses transparentes.
-
Motumbo
avoir sagesse de la tortue et malice du singe ! - déclara N'guélé. Après
cocktail, nous y'en a pas porter ce que nous avoir bu ! Bagages plus
légers ! Nous ouvrir cette caisse et commencer palabre ! »
Il
formèrent un grand cercle autour du chef qui donnait successivement la parole
aux uns et aux autres ; ainsi que les bouteilles de whisky disposées à son
coté.
« -
Si nous retourner au village, nous devoir nous farcir remontée barrière du
Moutiah ! Moi fatigué !
-
Moi
aussi ! Nous installer ici campement !
-
Toi pas
peur Gabonis ?
-
Gabonis
gentils ! Eux épargner nous, seulement tuer hommes
blancs ! »
La
conversation se prolongea ainsi quelques heures. Puis, ainsi que l'exigeait la
coutume, le chef résuma la teneur des débats et prit sa décision avant de
donner la parole au plus titré de ses sujets pour la conclusion.
« Nous
aaaaller chez Baaagonis car eux gentils et nous...., hips ! inviter faire la
fête. Apportons en caaaa.... hips ! deau une caisse eau couleur de miel qui
...qui pique la langue ! J'ai dit ! Hips ! Maintenant Motumbo
prendre la pa..., la parole».
Motumbo,
qui somnolait en fixant le sol se redressa brusquement.
« Paroles
du chef être bonnes ! Bonnes comme eau-couleur-de-miel des hommes
blancs ! N'guélé avoir malice de la tortue et ... sagesse, euh... du
singe. Nous camper ici et demain nous aller chez Gabonis. Et, pendant que j'y
pense, ajouta-t-il avec un sourire, puisque les blancs ont disparu, pourquoi ne
parlerions-nous pas normalement ?!!! »
Un grand
silence se fit. Puis on entendit un souffle saccadé, d'abord très faible, qui
sortait de la bouche de Motumbo et s'amplifia progressivement jusqu'à exploser
dans un fantastique éclat de rire. Qui fut repris en cœur par tous les
porteurs. Ils s'écroulaient par terre, les larmes aux yeux, la bouche grande
ouverte et le ventre douloureux. Agités par les spasmes d'une hilarité qu'ils
ne pouvaient contrôler.
« Ben
oui ! - repris Motumbo entre deux soubresauts de rire - jamais nous ne
nous trouvâmes en pareille situation. Je n'imaginais pas que je pusse un jour
vivre un tel scénario. Nous sommes entre nous. La providence nous délivre de
l'image colonialiste qu'ont de nous les missionnaires européens. Reposons-nous
mes frères ; l'astre du jour disparaît à l'horizon. Après avoir sacrifié au culte de Bacchus,
adonnons-nous à celui de Morphée ! »
Les
porteurs s'endormirent très vite ; sous l'effet de la fatigue et du
whisky. Leur sommeil fut à peine troublé par une rumeur provenant de l'immense
forêt vierge ; un bruit étrange
déchirant la nuit ; un cri animal, qui pourtant avait des
résonnances humaines...
Le
lendemain les porteurs se remirent en marche sur la trace des Gabonis.
L'instinct de chasseur et la connaissance de la nature qui était l'apanage de
leur tribu leur permit de trouver sans peine la direction du village. Avant
d'avoir atteint la première hutte ils furent accueillis à bras ouverts par les
guetteurs. Motumbo, qui ouvrait la marche, s'était ceint le front d'une
couronne de feuilles de bananier, symbole universel de paix dans la grande
forêt équatoriale.
« Nous
venir en paix ! Nous amis ! » Avait-il lancé en direction des
farouches guerriers. En employant de nouveau le langage simplifié qu'il
utilisait avec les blancs, car les Gabonis étaient un peuple très primitif.
L'un des guetteurs avaient répondu « n'galawo ! » ce qui veut
dire « vous êtes les bienvenus ! » Après moult embrassades et
congratulations N'guélé leur avait fait cadeau de quelques pièces de monnaies
et de verroteries qui les remplirent de joie. Devant sa case le chef, M'bagawa,
reçut en présent la montre du professeur Carlson. Puis on fit un grand banquet.
Un éléphant avait été sacrifié pour l'occasion. La viande était abondante et le
whisky coulait à flots.
Après le
repas M'bagawa fit venir N'guélé et Motumbo dans sa hutte pour un palabre de
fin de soirée.
« Quoi
vous y'en a faire demain ? leur demanda-t-il.
-
Nous
retourner à notre village, répondit N'guélé. Nous devoir partir tôt car village
loin d'ici, et franchissement barrière du Moutiah pas être de la tarte !
-
Et pourquoi
hommes blancs avoir engagé vous pour aussi périlleuse expédition ?
-
Eux vouloir
trouver homme-singe-blanc-qui-vit-dans-les-arbres au-delà terre des Gabonis qui
indiquer à eux emplacement cimetière éléphants. Eux vouloir ramener chez eux,
dans grande île sur grand lac, qu'eux appeler Angleterre, grosses dents de
proboscidiens. Si toi vouloir mon avis, moi penser que hommes blancs atteints
par fièvre des marigots. Quoi faire avec grosses dents ? Trop dures pour
faire arc, trop courbées pour faire lance, difficiles à tailler avec couteau de
fer.
-
Toi te
méprendre - répondit M'bagawa - pour hommes blancs grosses dents avoir immense
valeur ! Une seule d'entre elle pouvoir se négocier pour cent
gazelles !
-
Cent
gazelles ! s'exclama N'guélé. Moi pas connaître exactement les cours mais
cela devoir représenter cinq petites-boîtes-qu'on
met-autour-du-poignet-avec-petites-aiguilles-qui-tournent ou deux
bâtons-qui-crachent-le-feu ou encore deux cent millions de fourmis mambala.
-
Exact !
Et puisque vous être mes amis moi vous donner conseil. Plutôt que repartir chez
vous, aller trouver homme-singe et lui demander où être cimetière des
éléphants. Quand vous savoir, vous très riches.
-
Mais
pourquoi M'bagawa pas y aller lui-même avec ses guerriers ?
-
N'guélé toucher là point sensible !
Vieille malédiction interdire Gabonis approcher la zone. Mais vous pouvoir le
faire. Moi me contenter 10% bénéfices. Plus théière en porcelaine de Delft.
-
N'guélé et
Motumbo être d'accord. Si toi nous prêter quatre femmes pour la nuit.
Ainsi
les porteurs purent découvrir le fameux cimetière et gagner beaucoup d'argent.
Ce qui permit, entre autres, au petit-fils de Motumbo, soixante ans plus tard,
d'être élu démocratiquement président à vie de son pays. Mais revenons à notre
récit.
Quand
les porteurs quittèrent le village des Gabonis, le soleil était déjà haut dans
le ciel. Ils avaient offert à M'bagawa et à sa tribu trois caisses de whisky.
Mais il leur en restait encore beaucoup. Ils marchèrent deux jours et deux
nuits dans la forêt en direction du repaire de l'homme-singe dont ils
entendaient les cris par intermittence.
Enfin
ils atteignirent une grande clairière que dominait une belle cabane en bois
construite au sommet d'un arbre, dans un style qui rappelait les cottages du
Kent. Tarzan, qui venait comme chaque matin de tuer un crocodile, regagnait son
logis dans un ascenseur de bambous mu par une corde que tirait un éléphant par
un ingénieux système de poulies. C'est Cheetah la guenon qui donna l'alerte d'une
haute branche où elle était perchée.
« Iiiiiiihhh,
iiiiiiiihhh - se mit-elle à crier »
L'éléphant
interrompit son effort, laissant l'ascenseur bloqué à mi-chemin du sol et de la
cabane. Jane, qui arrangeait la maison, lâcha son balai et courut à la porte.
Tarzan fit un geste en direction de sa guenon en criant « Cheetah !
Ungawa ! » Elle se tut. Puis,
s'adressant à l'éléphant : «mongo ! mongo ! ». Celui-ci recula
doucement jusqu'à ce que l'ascenseur fut à terre. Tarzan sortit de la cage et
se dirigea vers les porteurs. Arrivé à leur hauteur il entama les pourparlers.
« N'gapimawandi ?
- Nous aller très bien, merci, répondit Motumbo. Nous venir en paix.
-
Tarzan trouver toi sympathique. Vous venir dans maison
à moi. Nous manger crocodile ; et bananes et noix coco en dessert. »
La maison avait les dimensions d'un F6 avec une grande pièce centrale faisant office de salle à manger. On pouvait y accueillir sans peine une quinzaine de convives.
« Ne faites pas attention au désordre, dit Jane à ses invités quand ils franchirent le seuil de la cabane.
-Ne vous dérangez pas pour nous lui répondit N'guélé, vous nous honorez grandement en nous accordant l'hospitalité. Puis, après avoir chaussé les patins, il jeta un regard circulaire sur l'appartement.
« C'est gentil chez vous !
- Oh ! Ce n'est rien - rétorqua-t-elle. Il suffit de savoir s'arranger avec pas grand chose ! »
Le repas fut très gai. Les porteurs avaient apporté leurs instruments de musique ; et une caisse de whisky. On chanta et on dansa jusqu'au crépuscule. Les regards étaient braqués sur Jane, qui était la seule femme. Sauf celui de Tarzan qui n'avait d'yeux que pour Motumbo. La musculature puissante du superbe noir exerçait sur lui une étrange fascination. Motumbo s'en aperçut et se mit à répondre par des clins d'œil aux regards appuyés que lui lançait l'homme-singe. À la fin du repas leurs pieds nus se rejoignaient sous la table. Oui, le repas fut très gai.
Jane fit bonne figure jusqu'au départ des invités. Mais dès qu'ils se furent un peu éloignés vers le campement qu'ils avaient établi à un demi-mile de la cabane, elle laissa éclater sa colère :
« Tu crois que je n'ai pas remarqué ton petit manège avec ce grand porteur ? !!! Tu n'es qu'un phacochère ! Dire que j'ai passé ce qui aurait du être les meilleures années de ma vie avec un sauvage dans la forêt vierge ! Alors qu'à Londres, un lord m'avait demandée en mariage ! J'ai sacrifié une existence parmi la soie et la porcelaine à un primate qui ne sait pas prononcer deux mots ! Moi ! moi lauréate du concours de la jeune fille la plus vertueuse du club de la gentry de Paddington ! moi titulaire du diplôme de maître de recherche en anthropologie de Cambridge ! Tout ça pour finir dans la jungle avec un singe ! Oui, un singe ! Qui saute sur tout ce qui bouge ! Je t'avais pardonné après t'avoir surpris avec Cheetah en train de... Oh ! C'était affreux ! Mais j'ai eu tort ! Je m'en rends bien compte maintenant ! »
Tarzan ne disait mot. Moins par honte que par manque de vocabulaire. Cheetah, qui avait horreur des disputes se mit à hurler :
« Iiiiiiiihhh ! Iiiiiiiiihhh ! »
Tarzan pointa un regard noir en direction de la guenon et dit d'une voix forte :
« Cheetah ! Mongowo ! » ce qui voulait dire « ta gueule ! »
Et Jane reprit sa litanie :
« Ah ! Tu m'as bien eu avec tes numéros au début ! « Moi Tarzan, toi Jane ». Tu sautais de liane en liane et tu te battais au couteau avec des lions pour m'épater ! Mais tout ça n'était que du vent ! Tu n'avais besoin que d'une bonniche qui repasse tes pagnes pendant que tu courais dans la forêt en poussant ton cri stupide ! Et que tu t'amusais avec tes animaux ! En faisant Dieu sait quoi, je préfère ne pas le savoir !
- Jane se calmer. Tarzan s'excuser...
- Des excuses maintenant ?! Il ne manquait plus que ça ! Non seulement tu es un pervers, mais en plus tu n'as rien dans le pagne ! Tiens ! Je préfère sortir ! Passe une bonne nuit !!! »
La porte en bambou se referma avec fracas. Jane descendit par la liane car l'éléphant qui actionnait l'ascenseur était déjà endormi. Elle se dirigea vers le campement des porteurs. Tous dormaient d'un sommeil profond. Elle en réveilla cinq qui lui paraissaient les plus beaux et les entraîna dans les fourrés. Ils ne se firent pas prier !
Resté seul dans la maison Tarzan, allongé sur une natte, ruminait de sombres pensées :
« Jane pas gentille. Avoir mauvais caractère. Rien supporter. Moi y'en a marre ! Elle avoir beau postérieur mais aucune reconnaissance. Moi avoir sauvé mille fois vie à elle. Hier, quand rhinocéros charger, moi prendre risques inouïs pour le détourner ; sans quoi Jane écrabouillée contre baobab. »
Et s'adressant à la guenon qui déambulait dans la chambre :
« Cheetah ! Um'bala ! Toi seule me comprendre. Toi gentille. Jane grosse poufiasse ! »
Au soir du lendemain les porteurs rendirent l'invitation. Un feu brûlait au centre du cercle des convives au bord de la clairière, qui réchauffait une immense marmite. Tarzan, la main posée sur l'épaule de Motumbo, était d'humeur joyeuse. Il ne regrettait pas trop l'absence de Jane. D'ailleurs, était-elle vraiment absente de ce festin ?
Motumbo, quittant l'étreinte de l'homme-singe, se dirigea vers la marmite. Arrivé au bord du feu il s'empara d'une sagaie qui traînait par terre et en plongea la pointe dans le bouillon. Il en retira un beau morceau ; une cuisse. Après avoir mordu dedans à pleines dents, il mastiqua longuement, puis cria en riant à la cantonade :
« Y'a bon femme blanche !!! »
FIN
Alain Kotsov