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PREMIER CONTACT

 

 

I

 

La réception du premier message d’intelligence provenant de l’Espace mit la planète en émoi. Le secret fut gardé par les autorités jusqu’à ce qu’il fut établi de façon certaine que le signal reçu par le satellite d’observation n’était ni le fruit d’une interférence, ni celui d’un phénomène cosmique régulier du genre pulsar. On mit alors en branle tous les ordinateurs et toutes les sommités scientifiques afin de décrypter le message venu des étoiles. Ce qu’on ne tarda pas à faire, du moins en partie.

Il s’agissait d’une séquence analogique unique, d’une vingtaine de secondes, dans laquelle on sut rapidement déceler des images accompagnées d’une « bande son » ; émise depuis une petite étoile située à 55 années-lumière autour de laquelle on avait détecté depuis longtemps deux grosses planètes, mais qui ne figurait pas parmi les cibles privilégiées des radiotélescopes, car selon les théories en vigueur, la présence de vie y apparaissait assez improbable.

Peu de temps après la découverte, le président des industries spatiales, flanqué d’un aréopage constitué des plus grands savants, prononça un discours qui fut retransmis sur tous les écrans holographiques de la planète et qu’on pourrait traduire ainsi :

« C’est à moi que revient l’honneur de vous l’annoncer : NOUS NE SOMMES PAS SEULS ! Il existe, dans une région de la galaxie très proche de nous, une civilisation semblable à la nôtre dont nous venons de recevoir un contact sous forme d’ondes radio. Tout nous porte à croire cependant que cette civilisation possède une avance technologique bien supérieure à celle que nous avons atteinte. Les spécialistes en cryptographie ont réussi à reconstituer le message primaire, qui se présente sous la forme d’un « clip » assez court ; à l’évidence un texte de bienvenue à destination de créatures intelligentes capables de le lire. Mais nous sommes pratiquement certains que cette communication recèle, cachées en son sein, de nombreuses informations que nous ne sommes pas encore parvenus à déchiffrer. Nos éminents cryptologues travaillent sans relâche là-dessus ; mais rien ne presse ! – Le président esquissa un sourire – Le temps que mettront les ondes pour parvenir jusqu’à nos frères de l’espace ajouté à celui de leur réponse pour nous atteindre, représente une vie entière.

Nous serons amenés, dans l’avenir, à nous poser beaucoup de questions, certainement très ardues, sur ces créatures avec lesquelles nous venons juste de faire connaissance. Mais pour l’heure, je vous propose à tous de visionner leur message d’amitié. Vous pourrez constater que ces êtres, bien que différents, nous ressemblent par de nombreux points, ce qui semble prouver que l’évolution a suivi les mêmes chemins sur leur planète : Ils ont deux yeux, une bouche, comme nous, deux bras, deux jambes, deux mains avec cinq doigts, s’expriment dans un langage articulé, et sont apparemment répartis en deux sexes, tout comme nous. »

L’image du président s’effaça alors pour laisser place à la courte séquence d’images dans laquelle on pouvait voir deux créatures humanoïdes qui s’affairaient dans un espace clos en s’exprimant d’une voix très aiguë et en faisant des gestes dont le symbolisme semblait assez obscur. Une petite boîte colorée que tenait l’un des individus, qu’on identifia comme la femelle, paraissait tenir un grand rôle dans cette étrange scène ; peut-être un ordinateur ultra perfectionné ? Ou bien un symbole à grande signification philosophique ? Cela provoqua entre les savants de vifs débats. Par contre les signes qu’on voyait défiler dans l’image en même temps que le discours parlé furent très vite identifiés comme une écriture, de type syllabique, dont il fut aisé d’établir un début de traduction des règles phonétiques. Bien sûr, le sens du discours resta totalement imperméable.

Le message fut étudié sous toutes les coutures, mais sans perdre de temps on le renvoya en boucle, par le moyen d’un très puissant émetteur, vers la région du ciel d’où il provenait ; comme un « accusé de réception ». Puis des spécialistes mirent au point une séquence de même nature dans laquelle un homme et une femme adressaient un message de paix aux aliens, illustré par des extraits sonores écrits par les plus grands musiciens de l’Histoire et les représentations des plus belles œuvres d’art de tous les continents et de toutes les époques. On accompagna cet envoi du catalogue de symboles déjà émis vers plusieurs régions de l’Espace, basé sur des constantes physiques universelles comme la vitesse de la lumière, les dimensions d’un atome d’hydrogène, etc. et qui devait servir de protocole aux futurs échanges interstellaires. Il permettait de décrire, de façon très astucieuse, des notions aussi fines que la numérotation décimale, la structure de l’ADN, l’état d’avancement de la science, la planète et sa population. On était certain qu’une civilisation avancée comme celle des concepteurs du premier envoi reçu avait les moyens de le décrypter sans difficulté.

Le premier message « envoyé en recommandé » à destination de créatures intelligentes dont on avait enfin la preuve de l’existence filait à 300 000 kilomètres/seconde dans l’immensité glacée de l’Espace.

 

 

 

 

II

A peu près à la même époque, sur la base lunaire M3, Francis Poolman, un des plus hauts responsables du programme SETI (Search for Extra-Terrestrial Intelligence) discutait avec son fils âgé de huit ans qui le pressait de questions.

(« A la même époque » est une formulation assez audacieuse car la simultanéité, à l’échelle galactique, n’a pas grand sens, tant l’espace et le temps sont intimement liés dans l’Univers par cette constante : C, qui représente la vitesse, infranchissable, de la lumière. Disons plutôt 55 années après que le message reçu par les habitants de Vākota eut quitté la terre.)

« Vois-tu, fiston, ces immenses paraboles qui forment comme un cercle autour du cratère sont semblables à des oreilles qui écoutent l’espace. Elles sont destinées à recevoir les signaux émis par les extraterrestres. »

L’homme désignait du doigt le gigantesque anneau que formaient les installations dont la blancheur éclatante tranchait magnifiquement sur le sol grisâtre et le firmament obscur rempli d’étoiles.

« Ils sont comment les extraterrestres ? » L’enfant accompagna sa question d’un regard éveillé et interrogateur.

« Personne n’en sait rien, David ! Des savants, qu’on nomme « exobiologistes » se sont penchés depuis des décennies sur cette question. Ils sont peut-être comme nous, avec deux bras et deux jambes, ou ce sont des lézards très intelligents, ou de grosses baleines qui nagent dans un air très lourd. On l’ignore ! Depuis qu’on sait qu’il n’y a jamais eu de vie sur Mars, ni sur Titan, ni sur Europe, on peut envisager toutes les hypothèses. Mais la pire, celle qui rendrait vaine toute ma vie de travail, ça serait qu’ils n’existent pas. »

« Mais s’ils existent, quand on va les rencontrer ? »

« Euh… Si tu parles d’aller leur serrer la main, ou le tentacule, jamais sans doute. Du moins toi et moi. Rends-toi compte, les messages que nous leur envoyons, ou qu’ils nous envoient, voyagent à la vitesse de la lumière, 300 000 kilomètres par seconde… »

« C’est très rapide ! Interrompit David »

 « Oui fiston. Et pourtant un message provenant d’un système situé par exemple à 100 années-lumière, très proche donc à l’échelle galactique, mettra un siècle pour nous parvenir. Et notre réponse, un autre siècle pour arriver là-bas. C’est un peu comme si tu rencontrais quelqu’un, et que le son de sa voix n’atteigne tes oreilles qu’après 100 années. »

« Mais pourquoi on n’y va pas ? »

« Réfléchis un peu ! D’abord : OU aller ? Nous n’avons même pas de preuve de l’existence des aliens, alors, savoir où ils crèchent… Ensuite combien de temps ça prendrait ? On peut espérer que la cryofusion quantique nous permettra peut-être dans 50 ans de construire des vaisseaux atteignant le dixième de la vitesse luminique. Pour le système que j’évoquais, la route durerait mille ans ! On serait morts avant d’arriver… » 

« Alors on ne rencontrera jamais les extraterrestres ? »

« Nous, non ; à moins qu’ils ne viennent nous rendre visite, ce qui est très improbable. Mais dès aujourd’hui, nos radiotélescopes peuvent capter un message. C’est à mon avis la seule façon dont peut s’opérer une rencontre interstellaire. »

« Et ensuite, quand on saura où ils sont, on pourra aller chez eux ! » dit l’enfant en tapant des mains.

« Pourquoi pas ? Mais ça prendra du temps. Il faudra cryogéniser un équipage, ou créer une terre en réduction dans le vaisseau, dont seuls les lointains descendants du premier parviendront au but. » 

« Ca veut dire quoi « cryogéniser » ? »

« C’est encore du domaine de la science fiction. Gardons les pieds sur terre… sur la lune plutôt. Regarde les installations sur le cratère. Ça c’est tangible ! Et n’est-ce pas magnifique ? » 

« Oh oui ! - s’exclama David – Il y en a d’autres comme ça ? »

« Il y a celle de la face cachée, les deux stations sur les pôles, et une vieille sur la terre, au Chili, plus les récepteurs des satellites. Grâce à la technologie des faisceaux d’ondes, on peut observer dans presque toutes les directions de l’Espace et isoler toutes les fréquences. Si un signal passe par ici, nous avons toutes les chances de le recevoir. »

« Mais si les extraterrestres nous envoient des messages, est-ce qu’on leur en envoie aussi ? »

« Bien sûr, et ce depuis plus de 70 ans. La première fois de l’observatoire d’Arecibo, à Puerto Rico en 1974. »

« Donc tous les aliens qui habitent à 70 années-lumière de la terre l’ont déjà reçu ! » dit l’enfant avec enthousiasme.

« Malheureusement non ! – répondit son père – Pour que le signal arrive si loin il faut un faisceau puissant et très concentré. Celui-là était dirigé vers un amas globulaire situé à plus de 24000 années-lumière. Autant te dire que la réponse n’est pas pour demain ! »

« Mais quand tu travailles à l’extérieur, en scaphandre, et que je parle avec toi par radio, je n’ai pas besoin de savoir où tu es, et de pointer l’appareil vers toi. »

« Non fiston ! C’est parce que la distance est très courte. Les signaux sont faibles, il n’y a aucune matière qui forme obstacle… et l’effet Doppler ne joue pas. »

« C’est quoi l’effet Doppler ? »

Francis Poolman ne répondit pas. Il tapota rêveusement la surface en carbone du bureau et admit :

« Oui, il n’est pas impossible en théorie que la conversation que nous avons eue hier quand je réparais le moteur de la parabole 27… si les ondes réussissent à contourner les obstacles, ou si elles se trouvent relayées par un satellite… si elles parviennent à franchir une très longue distance sans être absorbées par l’éther, soit écoutée dans un siècle par des aliens ; mais je n’y crois pas trop. »

 

 

III

 

David Poolman venait juste de fêter ses 63 ans lorsque la terre reçut son premier message venu des étoiles. La communauté scientifique s’en trouva ravie, mais quelque peu décontenancée.

 

IV

Sur Vākota, la conscience qu’existait ailleurs une autre forme de vie intelligente bouleversa profondément et durablement les mentalités. Les Vākotiens, qui étaient des gens très pacifiques, le devinrent encore davantage. D’éminents linguistes, assistés des plus puissants ordinateurs, tentaient vainement de déchiffrer les quelques mots prononcées par les deux créatures. Et on ne décelait aucun message crypté dans l’architecture du signal. Cependant l’aspect, les gestes, et la voix des frères de l’Espace occupaient l’esprit de tous les habitants de la planète.

On bâtit partout des statues à l’effigie de ces êtres étranges, et pourtant si proches. On inscrivit au fronton des temples et des bâtiments officiels les signes d’écritures qui accompagnaient leur message. Et les paroles qu’on y entendait devinrent, dans la bouche des Vākotiens qui en ignoraient le sens, une espèce de slogan fédérateur, imprégné d’amour et de paix, qu’on prononçait dans toutes les occasions solennelles :

 

« OMO Micro, lo touti rikiki, maousse costo ! »