Mise à jour 21/02/2017

 

Y’A QUE SUR ARTE QU’ON VOIT ÇA !

 

Dimanche 2 juin 2002, 20h45 – ARTE – Diva, de Jean-Jacques Beineix.

 

Ce soir, la chaîne franco-allemande diffuse ce film de 1980 qui, après sa sortie en France dans trois salles (le « Cinélux » de Romorantin-Lanthenay, le « Miramar » de Berk-plage, et le « Hollywood Palace » de la Garenne-Colombes), fut descendu en flammes par la critique. Avant de connaître la consécration suite à l’obtention aux États-Unis d’une distinction aussi prestigieuse qu’inattendue. « Diva » connut alors une seconde carrière ; les files d’attente à l’entrée des cinémas des Champs-Élysées témoignaient qu’on avait à faire à un chef-d’œuvre...

 

Beineix fut alors considéré comme un grand espoir du cinéma français, ce qui lui permit d’enchaîner les succès commerciaux et les bides, comme tous les grands cinéastes. Et son style surprenant et décalé inspira par la suite de nombreux metteurs en scène. On croit en retrouver la trace dans un esthétisme noir qui imprègne certaines œuvres d’aujourd’hui.

 

« Diva » est donc, malgré quelques maladresses et un scénario alambiqué, un film-événement, avant de devenir un film-culte.

 

Celui qui n’avait pas revu « Diva » depuis sa seconde sortie était tenté de passer sa soirée télévisuelle sur ARTE ce dimanche soir. Pour disséquer, sans passion, ces images qui firent couler tant d’encre et de salive ; tenter de comprendre pourquoi il y a un avant et un après Beineix ; et se replonger dans l’ambiance de ces années 80 ; où il était encore jeune et beau...

 

Il est vrai que, dès les premières minutes du film, on est frappé par une grande originalité dans la présentation du sujet et des personnages.

 

Cependant, ce n’est pas de cela dont il est question. Mais d’une expérience télévisuelle sans précédent à laquelle nous a conviés la chaîne culturelle. Et dans laquelle réside le principal intérêt de cette diffusion.

 

Au début, un surtitre avertit le téléspectateur (id-est, celui qui a la chance de disposer de ses organes de vision) que la transmission du film est assurée par un système qui permet aux aveugles (pardon, aux non-voyants !) de suivre l’intrigue.

 

Le spectateur non-aveugle se demande en quoi cela peut consister. Il ne tardera pas à le savoir !

 

Il a déjà oublié les hypothèses qui ont effleuré son esprit : un petit clavier relié au téléviseur qui traduirait en braille les images ? Un casque branché sur une prise spéciale de l’appareil qui diffuserait des indications sur la position et l’attitude des personnages ?, quand il voit apparaître sur l’écran un texte indiquant, à l’attention des aveugles, que : « Suite à des problèmes techniques, la chaîne prie ses spectateurs non-voyants de l’excuser des dysfonctionnements du système qui ne leur permettent pas de suivre le film. »

 

Il imagine alors l’effet que peut produire sur ces gens ; qui ne voient pas (puisqu’ils sont aveugles, vous suivez ?) ce message imprimé qui défile sur l’écran.

 

Mais ce n’est pas fini. Arrivé à la moitié du film, il se doit de constater que les techniciens d’ARTE ont réussi à réparer l’avarie. Très bien ! Et même un peu trop bien ! Puisque la bande son s’enrichit tout-à-coup d’un commentaire qui annonce, d’une voix monocorde, qu’un des personnages se gratte le nez, qu’il va vers la fenêtre, qu’il se met à danser le charleston (je cite de mémoire). Et le film, qu’on trouvait jusqu’alors seulement un peu bizarre, atteint dans le surréalisme des sommets dignes du « Chien andalou ». Ça rappelle un peu les matches de foot où un commentateur décrit l’action (Viera passe à Henry, qui tire… au-dessus ! Toujours 1 à 0 pour le Sénégal !) De façon évidemment redondante puisqu’on a bien vu le centre en retrait. Et que cette satanée balle a bien touché la barre ! Mais là, on a affaire à une espèce de Thierry Rolland sous valium qui ne manifeste pas la moindre passion. On aimerait entendre à la fin d’une bagarre ou d’un duel au pistolet : « Ils n’ont pas fait le voyage pour rien ! Ah ! Ah ! Ah! » Mais que nenni, le commentaire est aussi morne que la voix off qui tenait lieu de sous-titre aux films diffusés à la télévision polonaise dans les années soixante.

 

Le spectateur se dit alors : « Bon sang ! Mais c’est bien sûr ! C’est fantastique pour les aveugles ! Malgré leur handicap, ils ne perdent pas une miette de l’intrigue ! Mais, au fait, pourquoi ça marche aussi chez moi ? » Il monte le son, se rend aux toilettes où il constate en se soulageant, l’intérêt que pourrait avoir le truc, même pour les non-non-voyants.

 

Alors qu’il s’est rassit, et commence à s’habituer à la voix intruse, celle-ci disparaît soudain. Richard Bohringer écrase son cigare, sort de la baignoire, mais il n’y a aucune confirmation sonore. Le spectateur en vient à regretter l’absence de la voix devenue complice. C’est alors qu’apparaît de nouveau à l’écran le texte qui présente aux non-non-non-voyants (qui ne voient toujours pas ! – si vous suivez encore - ) les excuses d’ARTE pour la panne du machin qui prive Gilbert Montagné et Steevy Wonder des explications de l’apathique confrère de Thierry Rolland.

 

Je vais me brancher tous les soirs de la semaine sur ARTE en espérant qu’ils feront allusion à ce phénomène, et cette fois-ci, dans un commentaire audible afin que tous, voyants ou non, comprennent ce qui s’est passé. Mais je n’y compte pas trop. Je me rappelle la diffusion il y a quelques années d’un film dont les dialogues étaient moitié en anglais (plus exactement cockney), moitié en hongrois, et dont les sous-titres avaient été oubliés. Si on n’avait pas un père né dans le West-London et une mère à Budapest, on ne pouvait saisir un traître mot. Et bien, il n’y eut pas de texte en sous-titre pour s’excuser du manque de sous-titrage ! Ou alors une annonce parlée faite en magyar ou en argot british qui se sera noyée dans les dialogues ? Ou bien en serbo-croate ? Ça serait bien dans le style d’ARTE !

 

Ce genre de dérapage n’a rien à voir avec les pitoyables ratages de FR3 qu’on nous propose chaque fin d’année dans les bêtisiers. Non ! Là c’est vraiment la classe ! À tel point qu’on se demande si ce n’est pas fait exprès ; et qu’on souhaiterait que ça se reproduise. Si ARTE propose un jour « Sissi impératrice » pour les aveugles ou « Rocky 3 » pour les sourds, je sais sur quelle chaîne je passerai ma soirée. Car je suis presque certain que quelque chose va foirer ; et que le plus pâle navet prendra alors une dimension mythique.

 

Je m’étonne seulement que ce genre de raté ne donne lieu à aucune protestation dans le courrier des lecteurs de Télé Z. Même pas celui de Télérama !

 

Serais-je le seul à regarder ARTE ?

 

PS : J’ai cité Steevy Wonder car je ne connais pas d’autre aveugle français célèbre. Il est fort improbable que le chanteur américain connaisse notre langue. Du moins mieux que son homonyme du « loft ».

 

Date : 27/01/2003. SUITE...

 

Plus de six mois après (vers la mi-janvier 2003), on constate que la chaîne culturelle n'a pas perdu ses bonnes habitudes ; au beau milieu d'un péplum américain relatant la vie de Cléopâtre, annoncé en version française, les personnages se mettent subitement à parler anglais ! Puis reviennent tout aussi subitement au français, qui nous paraît plus naturel bien que notre idiome soit autant éloigné de l'ancien égyptien que de la langue de Shakespeare.

 

Continuez comme ça ARTE ! Étonnez-nous !

 

Date : 12/11/2004. SUITE...

 

Les insomniaques qui auraient allumé leur poste dans la nuit du 11 au 12 novembre ont pu constater que des progrès significatifs ont été accomplis dans ce domaine. En effet, ne reculant pas devant l’innovation hardie, notre chaîne franco-germanique introduit dans le PAF un nouveau concept, audacieux s’il en est !

 

Pour tous les possesseurs d’un poste de télévision, hormis les dix personnes qui regardaient ARTE à 1 heure du matin cette date-là, je m’explique :

 

La chaîne culturelle, sacrifiant (un tout petit peu il est vrai) au culte de l’audimat, se permet souvent une entorse à son principe de favoriser la version originale sous-titrée des films étrangers en les diffusant en VF doublée aux heures de grande écoute. C’est pas bien, c’est pas politiquement correct, mais qu’on le veuille ou non, ça améliore de 30% la part de marché !

 

La VF pour le grand public, la VO pour les intellectuels insomniaques. Jusque là tout est normal !

 

Mais...

 

L’œuvre que nous prodigue ARTE cette nuit-là n’est ni en version originale, ni en version française, ni même en version lituanienne non sous-titrée.

 

Il s’agit d’une adaptation du célèbre roman d’E.M. Remarque « à l’ouest rien de nouveau », qui raconte la vie dans les tranchées pendant la grande guerre vue du côté allemand. (Entre parenthèses, les câblés dont je fais partie peuvent, en pressant une certaine touche de leur télécommande, voir s’afficher dans une fenêtre de leur écran des informations sur le programme qu’ils sont en train de suivre ; par exemple le titre d’un film, l’année, le réalisateur, les principaux acteurs etc... ça marche sur toutes les chaînes... sauf sur ARTE ! Où, si on a de la chance, on lit le titre et la laconique mention « film », et sinon, n’importe quoi, comme « les crevettes du lac Baïkal - documentaire » lors de la diffusion d’un court métrage sur la situation des enfants dans les favelas de Sao Paulo. Ce soir-là, j’avais du bol car le titre était exact, et bien qu’ayant raté le début, je savais de quoi il était question.)

 

Quand les hasards du zapping m’avaient conduit sur les champs de bataille de 1917, les casques à pointe s’exprimaient dans leur langue maternelle, le teuton de base, avec des sous-titre français. Une version originale qui n’avait rien d’original. Jusqu’à ce que les acteurs embrayassent sans avertissement sur le français. J’ai pensé à un dysfonctionnement passager, une erreur technique, comme (voir plus haut en date du 27/01/2003) le méli-mélo sémantique dont furent victimes César et Cléopâtre il y a vingt siècles. Mais ce n’était pas ça ! Car, au bout de dix minutes, les soldats se remettent à parler allemand ; puis, dix minutes après reviennent au français. Et ainsi de suite, jusqu’à ce que ce film linguistiquement saucissonné se conclue par l’inscription sur l’écran des deux mots : « The end » suivie d’un générique où les noms des acteurs indiquent qu’ils sont plus probablement originaires de Liverpool ou de Chicago que de Munich ou Nuremberg.

 

Il me semble impossible que ce ping-pong französich-deutsch ne soit dû qu’à la maladresse d’un technicien atteint de strabisme, comme le mitrailleur loucheur de la scène finale de « la grande vadrouille », qui aurait confondu les fils en tentant de réparer une avarie ; ou comme (n’oublions pas que la chaîne est franco-allemande, alors il faut respecter l’équilibre) l’officier de la septième compagnie joué par Robert Lamoureux qui, en confondant le fil vert et le fil rouge de son détonateur, a beaucoup de mal à retarder l’avance de la Wehrmacht vers la plus belle ville du monde ; qu’elle atteindra de toutes façons ; on ne refait pas l’histoire !

 

Non ! Il s’agit là d’une volonté délibérée dont je me demande quel en est le motif, et l’intérêt.

 

Justement ! C’est cela qui classe les fantaisies artésiennes dans une autre catégorie que les ratages (ou manipulations) qu’on voit ailleurs ; c’est totalement gratuit, ça ne passera jamais dans le bêtisier de fin d’année, ça ne fait pas la promotion d’un dentifrice ou d’une barre de chocolat... Bref, c’est beau parce que c’est inutile.

 

Bravo ARTE.

 

Que nous préparez-vous ?

 

 

Date : 13/02/2017. SUITE...

 

Ça faisait longtemps ! Plus de douze ans ! La technique a évolué depuis le temps où une conversation d’aujourd’hui dans laquelle apparaîtraient les mots « Facebook », « Tweeter », « Uberisation », « bravitude », « Trump », « Macron », « Fukushima », « Je suis Charlie », « Brexit », « bashing », « complotisme », « box SFR », « fake news » etc. aurait été incompréhensible. La technique oui, et ARTE aussi puisque le genre de dysfonctionnement auxquels il est fait allusion plus haut ne semble plus être de mise sur la chaîne binationale. Cependant, le technicien maladroit vient de me faire un petit coucou la veille de la saint Valentin. Ce soir-là, un film était diffusé, « la demoiselle d’honneur », de Claude Chabrol. Le résumé auquel j’accède sur le petit bouton connecté à ma box SFR, justement, me présente le « pitch » d’une œuvre bien plus ancienne, « les portes de la nuit », de Marcel Carné, avec Yves Montant, de 1946. Rien à voir ! Ça n’arrive jamais ailleurs. Doit-on s’attendre à ce qu’un film en 3D holographique et en odorama sorti en 2050 soit accompagné du résumé de « bienvenue chez les Ch’tis » ? Rien n’est moins incertain !

 

Autre chose : dans le bouquet de 200 chaînes proposé par les opérateurs d’aujourd’hui, ARTE est la seule à ne pas trop nous bassiner avec la réclame. Avec celles qui ne sont jamais regardées, ou très peu, elle semble réussir à endiguer l’extension du domaine de la pub qui envahit les media, notamment France Inter, qui maintenant nous bombarde d’annonces dès que l’aiguille des minutes s’approche de la verticale. Ils ont du temps, ne courent pas après l’audience, pourraient jouer en souplesse avec les horaires. Pourtant, chaque soir, dans l’émission « 28 minutes », animée par Elisabeth Quin, après le « tschüss » final, le téléspectateur connaît sa frustration quotidienne. Presque tous les jours, Elisabeth nous propose, pour accompagner le générique de fin, un morceau de musique en rapport avec un sujet abordé ou débattu au cours de l’émission. On serait ravi d’écouter quelques couplets d’une chanson, à défaut une strophe, un peu plus qu’une phrase, on ne demande pas l’intégrale de la tétralogie de Wagner. Las ! Ça finit à peine après avoir commencé. Une intro, une demi mesure, quelques secondes ; comme si une promotion à la gloire d’un yaourt ou d’une bagnole attendait impatiemment dans les starting-blocks que le morceau soit interrompu, pour nous matraquer les yeux et les oreilles de son message débilitant. Non, il ne s’agit que de nous présenter le programme qui suit, un rendez-vous pour une soirée thématique, un événement culturel prévu pour la semaine prochaine, qui pourraient bien attendre. En coupant ainsi le sifflet aux artistes choisis, ARTE se conduit de façon pire que les chaînes ultra commerciales, qui accordent à la pub la part du lion. Est ce voulu ? Certainement, du moins assumé, mais dans quel but ? On est sur ARTE…

 

 

 

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